La Jeunesse réunionnaise, Intervention de Laure Minassian, Sociologue et professeure d’ Université à La Réunion. Founémoussou Baradji-Coulibaly

« La Jeunesse n´est qu´un mot. » Pierre Bourdieu

La Jeunesse questionne et bouleverse. Depuis les années 30 dans le monde anglo-saxon puis 60 en France, les sociétés éprouvent le besoin d´identifier ce groupe. Toutefois nous pouvons constater que la dite Jeunesse est un groupe sociale dynamique et évolutif en fonction des époques et des sociétés. Ce thème est encore d’actualité.

Nous vous proposons d’aborder ce sujet crucial et central dans notre travail au vu de plusieurs angles.

Jeunesse : quels âges de la vie

Comment parler de la jeunesse en tant que catégorie sociale en fonction de l´âge ?

Le sociologue Olivier Galland dans son ouvrage « sociologie de la jeunesse » démontre qu´il est actuellement plus difficile que dans le passé de définir et/ou de redéfinir la jeunesse. En effet, dans les sociétés modernes d´aujourd´hui, les rites des âges de la vie ont pour ainsi dire disparu. Dans le passé, les rites de passage étaient symbolisés par des cérémonies qui permettaient de passer d’un âge à un autre. Dans les sociétés judéo-chrétiennes, la vie était rythmée par le baptême, la communion, la confirmation, le mariage et la mort qui met un point final au cycle de la vie. Mais avec le temps, les rites et cérémonies religieuses se perdent ou du moins ne se pratiquent plus. Traditionnellement, l’entrée dans l’âge adulte était marqué par le départ de la famille, l’entrée dans la vie professionnelle et le fondement d’un couple. Toutefois, l’enchaînement de ces événements n’est ni automatique ni linéaire, et l’on assiste à un brouillage de ces repères et à des décalages qui transforment de plus en plus la jeunesse en un temps d’attente.

Jeunesse et transmission culturelle

« La jeunesse est un art » Oscar Wilde

La jeunesse comme catégorie sociale c´est dire un groupe social doté d’une certaine unité de représentations et d’attitudes tenant à l’âge. La jeunesse comme nous l’entendons actuellement est un groupe social, une sous-culture ayant développé ces propres moyens. Dominique Pasquier souligne bien cet aspect : « la culture juvénile existe depuis longtemps ; mais elle n’a jamais autant échappé au contrôle des adultes ni n’a été aussi organisée par l’univers marchand ». En effet, la jeunesse développe une culture populaire sans se référer à la culture dominante dans tous les domaines de la vie : mode vestimentaire, langage, musique, etc… Une culture de rue se développe et évolue avec le temps.

La jeunesse s’émancipe des parents, détenteurs de l’autorité et de la transmission. L’école en tant qu’institution d’éducation perd également avec le temps de sa légitimité. Parallèlement, les médias et les nouvelles formes de communication (réseaux sociaux) sont en plein essor et ont une influence de plus en plus importante.

Jeunesse et inégalités

« La jeunesse est d’abord une production sociale » Olivier Galland

En effet, nous parlons beaucoup de la jeunesse comme si celle-ci était unique et homogène ce qui est une très grande erreur. Il y a bien des caractéristiques sociales générales et communes aux jeunes, toutefois des différences existent tant sociales, culturelles, territoriales… Nous avons pu observer un affaiblissement de l’influence des parents néanmoins ces derniers restent toujours influants dans certains domaines comme le choix de l´école et/ou l’orientation scolaire puis professionnelle.

La sociologue Laure Minassian a déjà pu faire quelques observations sur le plan territorial. Elle peut faire les constats suivant : à St Denis, on peut voir une répartition des populations par classe d’âge et niveau de précarité. Les Réunionnais.e.s de 16 à 29 ans vivent souvent une décohabitation plus tardive qu’en métropole. Les difficultés pour accéder à un premier emploi stable avec une rémunération suffisante compliquent l’accès à un logement et retardent le départ des jeunes du cocon familial. La constitution d’une famille représente souvent la première opportunité de quitter le foyer parental, plus tardivement pour les hommes que pour les femmes. Ce n’est qu’à partir de 26 ans que la moitié des hommes ont quitté le domicile parental, contre 22 ans pour les femmes, du fait principalement des maternités précoces. Ainsi, à 22 ans, trois Réunionnaises sur dix sont mères. Entre 16 et 29 ans, quatre mères de famille sur dix élèvent seules leur enfant.

Les jeunes et le décrochage scolaire

Toujours selon Laure Minassian, un phénomène marque particulièrement l’île, qui a un « taux de décrochage deux à trois plus élevé que la moyenne nationale ». Différentes causes peuvent l’expliquer. Le caractère récent de la scolarisation pour tous les élèves jusqu’à 16 ans, par exemple. Elle a été appliquée en 1996 contre la fin des années 60 pour la Métropole. Mais globalement aujourd’hui, les proportions d’élèves qui quittent l’école avant la fin de la formation se réduit nettement, en 2015 il est de 11% pour l’île, contre 13% sur la France entière. On peut d’ailleurs se demander si le recul assez net des personnes qui décrochent et l’amélioration de la situation scolaire dans les îles ne contribue pas globalement à faire baisser significativement les chiffres dans la France entière 16% en 2011, il reste stable en 2017. Le décrochage scolaire y est aussi plus précoce qu’en métropole : un quart des jeunes réunionnais.e.s de 20 à 24 ans, qui ont quitté le système scolaire, n’ont que le niveau primaire, contre 14 % en métropole (ministère du Travail/Union européenne, 2014) et 12 % des 18-29 ans demeurent en situation d’illettrisme, un chiffre qui est même en hausse selon l’Insee. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1291760

Les jeunes, les diplômes et l’emploi

Le diplôme, une clé de l’autonomie

Laure Minassian pousse la réflexion plus loin. Le modèle social français valorise fortement le diplôme initial et ce, tout au long de la vie. De ce fait, le temps de la jeunesse revêt l’enjeu d’un investissement à vie, déterminant de façon pérenne le futur statut social de l’individu. Le diplôme obtenu à la fin des études détermine l’accès au premier emploi et donc à l’autonomie matérielle. Ainsi, 76 % des jeunes diplômé.e.s du supérieur sont en emploi à La Réunion contre seulement 18 % des jeunes sans diplôme. Cette influence du diplôme est valable aussi pour les plus âgé.e.s, il protège tout au long de la vie. Parmi les Réunionnais.e.s de 30 ans ou plus, 81 % des titulaires d’un diplôme du supérieur ont un emploi pour 26 % des non-diplômés. En outre, le diplôme influe sur les conditions d’emploi. Les plus diplômé.e.s occupent ainsi plus fréquemment des emplois stables et mieux rémunérés.

Au second trimestre 2016, plus d’un demandeur d’emploi sur cinq de catégorie ABC (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13240) ne possède aucun diplôme. Les titulaires d’un CAP ou d’un BEP représentent 38,2 % des demandeurs.euses d’emploi. Les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat sont les moins nombreux.ses et représentent 10,0 % de l’ensemble des demandeurs.euses d’emploi.

Les jeunes et la mobilité à la Réunion

 

La sociologue Laure Minassian conclut également qu’historiquement tournée vers la métropole, la mobilité réunionnaise a depuis la fin des années 1960 oscillé entre deux conceptions : la mobilité « héroïque », celle d’individus courageux qui osent partir et qui réussissent ; la mobilité « subie », liée aux incitations politiques des années 1960 puis à la crise de l’emploi des années 1980-1990. Aujourd’hui, une partie croissante des jeunes semble se départir de ces représentations et percevoir de plus en plus la mobilité comme un « bonus » dans la construction de leur parcours, pour se former ou acquérir une première expérience professionnelle et s’ouvrir à de nouvelles expériences culturelles.

Ils se dégagent ainsi de la seule relation à la métropole et ouvrent leur espace d’exploration et de construction de soi à la zone de l’océan Indien, à d’autres pays d’Europe, au Canada ou encore à l’Australie.

Dans ce contexte, le rôle de l’intervention publique évolue. Elle doit, d’un côté, continuer à apporter les aides nécessaires aux jeunes pour qui la migration demeure difficile, en raison de leur faible niveau de qualification ou de la prise de risque que cela représente pour eux.

De l’autre, elle doit inventer des modes d’accompagnement qui leur permettent de construire leur projet de mobilité, en réponse à des besoins ponctuels et spécifiques.

Deux postures s’entremêlent ainsi chez les jeunes réunionnais.e.s aujourd’hui : une demande toujours forte d’aides, notamment financières, et une attente de nouvelles formes d’accompagnement, davantage centrées sur la maîtrise des « modes d’emploi » et les échanges d’expériences.

(Cf. Les travaux de Stéphanie Morel, https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-6-page-118.htm).

« La Jeunesse n´aime pas les vaincus » Simone de Beauvoir

« La plus triste des morts, c´est la mort de la jeunesse » Jules Janin